PRESSE (dernières coupures)

human.fair

Actualité critique du spectacle vivant
Actualité critique du spectacle vivant

Publié le 24 Avril 2011


(In)divis



S'il est assez naturel que le festival CDC (2) lutte contre l'idée trop répandue selon laquelle la danse contemporaine ne couvrirait qu'un champ restreint et minimaliste, il faut saluer avec enthousiasme qu'il s'est donné vocation à montrer à quel point cette discipline conquiert de nouveaux espaces. Cette fois, l'association avec l'Usine et la Ville de Tournefeuille, qui nourrissent cette préoccupation commune, a permis la création et les premières représentations par la Cie Ajour 31 du dernier volet de Trilogie pour un geste de survie. Un travail sur l'identité qu'Alexandre Fernandez mène depuis quelques années et qui dans cette dernière pièce, human.fair, s'attache à la notion d'individualité au sein du collectif.
Crucifixions / résurrections
La foire humaine ainsi nommée se compose ici de cinq danseurs fort différents. Loin d'estomper leurs individualités, ces identités sont mises en exergue au cœur d'un décor d'atelier industriel, lieu impersonnel qui contraste radicalement avec l'exploration intime des caractères. La froideur environnante les contraint à l'essentiel avec son sol de béton, ses armoires métallique, la lumière blafarde des néons et le plafond perdu derrière les gaines d'aération.
Si le spectacle est conçu pour s'adapter aux contraintes des espaces de représentation à venir, cette ambiance déshumanisée, baignée par la lumière crue des rétroprojecteurs, quelques lampes torches et le bleu des néons, reste une des principales constantes constitutives de cet univers, tout comme le noir et blanc profond des images vidéo qui traversent l'espace pour envahir toute la surface d'un des murs. Un espace rempli de photons que les corps des danseurs façonnent dans l'immédiat, créant de magnifiques ombres qui s'allongent sur les murs et se confondent entre elles, mais aussi avec les autres corps et les projections. Car une installation faite de multiples caméras pose des images tantôt en parfaite résonance avec l'action, tantôt en véritable contrepoint.
Il en résulte un véritable enchevêtrement visuel auquel les mots viennent s'ajouter sur le même mode. Ces mots, susurrés ou hurlés dans les micros, se forment de pensées intimes, de textes mis bout à bout ou de chansons. Ils revendiquent eux aussi cette individualité faite de multiples facettes et soulèvent par là même les questions du paraître – comme dans ce passage où est déclinée dans un jeu de langage et de gestes l'affirmation réciproque : "Je suis ce que je bouge, je bouge ce que je suis."
Mais revenons au début où, en guise de préliminaire, le corps de chaque danseur est mis en avant. Leurs obsessions sont affichées publiquement et s'étalent jusqu'à l'exhibition de l'intime. Suspendus à des portants métalliques en forme de T, perchoirs bien frêles pour de tels volatiles, ils sont exhibés comme de vulgaires objets de consommation, identifiés à ceux qui peuplent les vitrines et qui sont censé attiser les désirs de nos apparences et définissent les appartenances. Dans cet échantillon du genre humain ainsi crucifié, chacun va ressusciter de ses propres passions. Chaque danseur s'empare de la parole et du geste pour fouiller dans les tréfonds de sa propre personnalité et ramener à la surface ce qui est du domaine commun. Et s'ils ne souhaitent plus rien cacher, ils semblent vouloir entraîner toute l'humanité avec eux.
Fragilité de l'individu collectif
Parmi toutes les propositions qui se succèdent – et qui sont nombreuses – certaines marquent par leur justesse et leur portée émotive. L'ensemble reste clair à la lecture et s'attache à une réelle cohérence du discours. Tous ces effets d'accumulations visuelles et sonores créent une image globale dans laquelle chaque élément constitutif demeure facilement dissociable pour le spectateur, comme l'étendue des multiples constituantes d'une seule personnalité.
On l'aura compris, cette foire humaine renvoie aux questions identitaires autant qu'à la notion de territoire intérieur. Les images se mélangent avec raffinement et parfois beaucoup d'humour. Les états de violence succèdent aux douceurs de l'intime et font place au dérisoire. Toutefois, si la proposition et forte et bien menée, disons que l'interprétation reste parfois un peu en-deçà de ce qu'on pourrait en attendre. S'il est indéniable que les interprètes se donnent entièrement dans chaque solo, ils laissent paraître d'évidentes fragilités dans les passages collectifs, encore mal assurés des chorégraphies d'ensemble, avec pour résultat des décalages et des regards anxieux qui affaiblissent la proposition.
Cela devrait rapidement disparaître par la suite, mais l'ensemble reste aujourd'hui encore trop hésitant. Il ne serait pourtant pas possible de parler de ce spectacle sans rendre hommage à Sonia Darbois, une interprète véritablement impressionnante. La qualité, la justesse et la finesse de son jeu font qu'elle se démarque largement, faisant preuve d'une belle distanciation par laquelle s'installe un personnage tout en retrait qui, du coup, remplit tout l'espace d'une incroyable force émotive. C'est donc une proposition encore neuve et déjà très forte qui devrait, si elle gagne en interprétation globale, être un travail révélateur des questions à poser sur la place et l'importance de chaque individualité  comme constituant essentiel d'une identité collective. (…)

Camille Chalain

PUBLIÉ LE 26/04/2011 09:38

Human.fair

mélange les genres

 

L'Usine en coproduction avec le Centre de Développement Chorégraphique Toulouse Midi-Pyrénées, dans le cadre du festival «C'est de la danse contemporaine», et le partenariat de la ville de Tournefeuille présentait mercredi, jeudi et vendredi soir «Human fair», une pièce chorégraphique de la compagnie «Ajour 31» dirigée par Alexandre Fernandez.
Human fair explique Alexandre est « le dernier volet de ''Trilogie pour un geste de survie'', sur la thématique de l'immigration, le premier thème parlait de mémoire, le deuxième de territoire et ce dernier de l'identité. C'est ma réponse aux questions et aux interrogations sur l'immigration en tant qu'artiste et que citoyen. Mon travail continue-t-il mélange le texte, la chanson, la musique, la vidéo, et la chorégraphie, je souhaite désenclaver la discipline pour arriver à une expression totale, tout se déroule en direct».
Travail avec des personnes de la résidence d'Oc
«La mémoire ajoute-t-il, c'est «celle de mes parents, et la mienne en tant que fils d'immigré, la quête, de la langue oubliée des racines, le territoire, c'est le détroit de Gibraltar , lieu particulier entre deux mers, deux continents, deux religions, deux cultures. L'identité, et non pas l'appartenance, c'est l'être, dans ses spécificités corporelle et uniques. A partir de 5 personnalités essayer de révéler des choses, des gestes, des attitudes qui les définissent, mettre en valeur l'identité de chacun mais aussi les dynamiques de groupe d'inclusion et d'exclusion, et ma propre démarche, nous avons travaillé dans l'échange et la transversalité.
De novembre à mars, j'ai travaillé avec un petit groupe de personnes de la résidence d'Oc à Tournefeuille , ou chacun à pu déterminer le geste qui le caractérise, nous avons travaillé sur l'intime, et composé une chorégraphie qui fera l'objet d'un document vidéo. Le groupe est venu assister au spectacle, j'ai inclus une scène ou les danseurs reprennent leurs gestes, un hommage à leur travail et leur implication».

Paul Molla

Solosoliloque

Quotidien
Quotidien

PUBLIÉ LE04/12/2009 14:52

Solosoliloque

la danse de l'exil

« Je parle de millions d'hommes à qui l'on a inculqué savamment la peur, le complexed'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme »(Aimé Césaire, « Discours sur le colonialisme »). Par cet emprunt au chantre dela négritude, le chorégraphe et danseur toulousain, Alexandre Fernandez,désigne sa démarche : parler du vécu des exilés, de cette « désintégration desa propre identité que suppose bien souvent l'intégration en terre étrangère ».Ce sont à la fois les deux extrêmes de cette problématique qu'il évoque dansson spectacle : « Solosoliloque », joué au Ring jusqu'à samedi. La volonté oula nécessité de « partir », toutes les humiliations, les déceptions qu'il fautsubir sans broncher pour s'adapter ailleurs. Le retour sur soi est la conditionnécessaire à la « recomposition » de l'être « désintégré » qui retrouve enrefaisant le chemin à l'envers, tout celui qu'il était à l'origine. Savéritable identité.

En tant quedanseur épaulé par une plasticienne experte dans le travail de la lumière et del'image (Catherine Pamart), Alexandre Fernandez s'exprime avec son corps : engestes, en mime, en images. Il traduit la complexité du corps déplacé, libèrela parole éteinte. Une telle thématique touche évidemment d'autres êtresau-delà de sa personne. Ceux, issus d'autres cultures qui ont vécu le mêmedéracinement. Artiste engagé, donc, c'est après avoir relu « La Misère du monde» de Césaire, qu'Alexandre Fernandez a ressenti le besoin de réécouter le récitde l'exil de ses parents de Tanger pour le nord de la France, que son pèreavait enregistré sur cassette.

Spectacle très visuel,réalisé avec talent et une grande économie de moyens, les images tiennent ducinéma expressionniste allemand, de certains tableaux surréalistes aussi. Cetartiste a composé une trilogie sur ce thème dont certains épisodes sontaccompagnés d'un événement rencontres, débats avec des spécialistes et pourélargir le sujet.

Annie Hennequin

36e parallèle y otros paralelos

Actualité Critique du Spectacle Vivant Grand Toulouse
Actualité Critique du Spectacle Vivant Grand Toulouse

Frontières affrontées

Alexandre Fernandez explore avec maestria la notion de territoire avec 36e // y otros paralelos.

 

C'

est sur un festival que le Ring ouvre la nouvelle saison : "Paroles et corps d'immigration", consacré pour ce premier volet français (un premier fut créé en Espagne en 2006, consacré à la mémoire à travers le spectacle Solosoliloque d’Alexandre Fernandez) à la notion de territoire. De territoires pluriels, pour être plus juste, de frontières et de passages – territoires, frontières et passages des disciplines artistiques comme des hommes, des femmes qui tentent de trouver un ici par l'ailleurs.

Et c'est assez naturellement que la manifestation s'ouvre, toute cette semaine, sur le deuxième panneau du triptyque chorégraphique conçu par Alexandre Fernandez : 36e // y otros paralelos.

"Prohibido el paso"
Passage interdit, affirme le panneau dans son enchevêtrement de barbelés, prohibido el paso, tandis qu'un homme protégé d'un masque sanitaire saisit avec violence un corps enveloppé d'une bâche, l'emporte. Un oiseau, pourtant, tente de franchir la frontière. Des mains pour ailes, costume bariolé que ne surmonte aucun visage, cliquètements de langue et souffle lourd "dans le ventre de la forêt". Tentatives d'envol, de fuite hors de l'espace étroitement circonscrit. Passage de la frontière de Ceuta, refuge en forêt. Brûlée. Femmes violées. Hurlement gigantesque. "Je suis enfermée dehors."
C'est qu'il n'est pas facile de se vouloir Alice et s'enfoncer dans l'inquiétant terrier du lapin blanc, tremblante de la peur de tomber, de toutes les autres peurs. Car au bout il y a l'autre, son territoire barré, franchissable seulement par le langage qu'on se fait commun, peut-être alors échangeable.
"Désormais je sais qu'il me sera impossible d'atteindre la métaphore." La réalité rattrape toujours le rêveur dans sa traversée vers l'Eldorado, et tandis que les uns, les unes bronzent sur la plage idyllique – flot et ciel d'azur, bruissement de ressac – d'autres tirent sur leurs chaînes, tentent de les rompre au risque de la mort. "Ravage, rivage", fureur du flot hurlant.
La traversée, pourtant, jusqu'à la pleine lumière. Mais au bout le tournoiement des gyrophares, le hululement des sirènes, les luttes : échec, impossibilité du retour, "je ne veux pas vivre dans la honte" quand le rêve était de devenir volatile, franchisseuse de frontières : hôtesse de l'air. L'obstination, poussée dans l'obscurité jusqu'au mur infranchissable, porteur des empreintes immobiles de tous ceux qui voulurent le passer et échouèrent. Des cris de ceux qui restèrent bloqués. Des figures soudain animées de ceux qui, eux, réussirent à passer. De l'autre côté, enfin ? Le chaos de l'Eldorado et ses promesses ironiques de bonheur bien réglé – "En turismo está tu futuro" : dans le tourisme est ton avenir... Là-bas, derrière, la mer ballote les cadavres au rythme des procès verbaux.

Migrations
Voici un heureux travail, engagé, clair et pertinent dans son propos comme dans ses moyens. Et il n'est peut-être pas indifférent de noter, dès le premier abord, que son sujet n'est pas tant l'immigration – autrement dit la place plus ou moins (in)confortable que trouve le migrant arrivé "à bon port" – que l'émigration : le départ, le passage (lorsqu'il a lieu), rien au-delà de l'arrivée. Pour la suite, sans doute faudra-t-il attendre le dernier volet consacré à l'identité, et revoir Sololiloque pour son pendant de mémoire (ce sera au Ring, encore, du 1er au 5 décembre).
Un propos clair, donc, dévoilé au rythme des paroles rares, tantôt indifférentes tantôt précipitées, de mémoires reconstituées à partir de faits réels, d'un témoignage de migrante, et le choc final de cette longue théorie de procès-verbaux de pertes en mer : date, lieu, type d'embarcation, nombre de personnes – nombre de morts, de disparus, de rescapés – simples données empruntées aux statistiques des premiers mois de l'année 2004, dévidées avec une placidité toute administrative. Implacable.
Une clarté qui doit beaucoup à la pertinence, à la cohérence des moyens employés pour porter le "message" et qui, une fois n'est pas coutume, naît d'une interdisciplinarité précisément maîtrisée. Ici de la danse, bien équilibrée entre mouvement contemporain et expressivité sans lourdeur, n'acceptant l'excès sonore ou gestuel que lorsqu'il fait sens et non par simple souci de jouer une vaine provocation physique. Du théâtre, aussi bien, quand dit et jeu trouvent leur place entre les parties dansées ou avec elles, n'hésitant pas à faire du rapport salle/gradins une métaphore des territoires affrontés, du quatrième mur une frontière à franchir, une fois au moins, à titre de démonstration. Une création vidéo enfin, une fois encore mesurée dans sa présence et ses images à l'aune de la nécessité et du sens, et dont on retiendra avec bonheur la très belle séquence des empreintes naissant sur la palissade-frontière, animées soudain pour le passage. A quoi on ajoutera une création sonore à la présence souvent discrète (pas toujours cependant), et tout aussi adéquate.
Le résultat ? Un choc, même pour qui se prétend informé, conscient, engagé peut-être. Bienvenu, nécessaire, en notre confort européen – yeux clos à proportion des bouches ouvertes sur de belles paroles. Mais qui ne changera sans doute rien au défilement impavide des procès verbaux d'arraisonnement...

Jacques-Olivier Badia

 

 

36e // y otros paralelos

Cie Ajour (31).

Conception, textes, musique : Alexandre Fernandez.

Images et création lumière : Catherine Pamart.

Interprétation : Marina Bruno, Simona Ferrar 

et Alexandre Fernandez.

 

Description : kaotranse

Le premier qui meurt va au Paradis  Yan Ciret

On se demandera un jour : qui est en vie et qui ne l’est pas. Il n’est pas sûr que beaucoup en sortent vivants. Les morts nous reviennent plus vifs que jamais, ouvrez une page : Céline, Beckett, Joyce, Faulkner, et même ce pachyderme de génie : Balzac. Et tout s’éclaire, s’anime, ressuscite; ils rentrent dans le néant et en sortent à volonté. Ils dansent. Comme les mots sur une page, comme des corps sur une scène. On en n’a jamais fini avec eux. Ils tournent dans la nuit, brillent infiniment.

D’autres qui paraissent si présents, si actuels, ont déjà passé leur tour : des disparus sans le savoir, inscrits partout, c’est-à-dire dans le Grand Nulle part. Cette « trilogie pour un geste de survie » en est l’une des preuves les plus flagrantes : la « sur-vie » des passeurs de frontière est l’au-delà de la vie. Un régime en accéléré de ce qui vient. Il est donc question d’immigration, de continents, de surveillance, en un mot de terreur. Et pourtant le passage est là, proche, à portée de main, dans un écho de voix.

La danse comme métaphore : deux points distincts, antagonistes, l’Occident et l’Orient dans le fanal des lumières de la baie qui mène de Tanger à Algésiras. Des femmes, des femelles, des troupeaux, un brouhaha, un chaos sonore, sur fond de diaspora et la vie qui prend son sens, s’oriente, du Sud au Nord ; et ces deux danseuses qui chavirent tous nos repères. Ceux qui confondent la carte et le territoire, et ceux qui nous cachent, loin de cette vérité : des êtres nous cherchent, risquent leur vie pour nous rejoindre.

Alors « 36e // y otros paralelos » nous vient de loin, cette pièce de mots, de sons, de bruits et de fureur, nous raconte, qu’au fond, il n’y a que les « sur-vivants » qui écrivent l’histoire. Les zones de non-droit, les « interzones » que décrivait déjà Bill Burroughs, sont des lieux dangereux, hallucinatoires, paranoïaques, atteints d’une vision de derviche ivre, de passeurs mélancoliques, de corps rejetés par la mer. Et pourtant, Alexandre Fernandez ne s’arrête pas à cette scène d’apocalypse et de naufrage. Son théâtre fait palpiter quelque chose de plus vital : l’espace qui relie deux corps, des aimants saturés par leur propre attraction, des étoiles filantes qui traversent à la vitesse de la lumière les lueurs de miradors.

On a donc passé un cap, franchi un détroit, les écrans vont servir de ciels solides, sur lesquels les corps s’affranchissent de la pesanteur. Les micros amplifient le chant qui se détache, comme d’une tache noire, de la plainte qui l’a vu naître. Surtout, la souplesse de la chair devient matière incandescente, projet et sujet, et non plus victime. Elles sont deux en une, ce qui fait quatre. Chacune féminine et masculine, doublée dans son sexe. Ce duo est un quatuor. Les parallèles s’y rejoignent à l’infini du mouvement exténué. Quelque chose s’ouvre, se démultiplie, les postures, les positions au sol, la dureté devient fluide, la terre tremble sous leurs pieds au «36e // y otros paralelos » ; elles passent à travers. On n’y verra que du feu. Pas vues, pas prises. Déjà de l’autre côté, vers nous, elles nous éclairent, nous animent, nous ressuscitent ; elles rentrent dans le néant et en sortent à volonté.

 

Yan Ciret - journaliste et essayiste. Publie à Art Press, au Magazine Littéraire, aux Inrokuptibles. à France Culture, aux Cahiers de Médiologie (Gallimard). Il a publié Chroniques de la scène monde, ainsi que Passions Civiles avec Stanislas Nordey, aux Éditions La Passe du vent.

 

 

Description : Clou

Clou dans la Planche

Actualité Critique du Spectacle Vivant Grand Toulouse

Nouveau round au Ring

Tous des immigrés ?

L

a première, et sans doute la plus politique d'un lieu bien engagé, regroupe cette semaine sous le titre "Paroles et corps d'immigration" de multiples rencontres artistiques organisées par Alexandre Fernandez. A l'origine, une réaction au second tour de l'élection présidentielle de 2002, un départ hors de France et la conception d'un triptyque chorégraphique autour des notions de mémoire, de territoire et d'identité. Le premier volet, Solosoliloque, est créé en 2006 à Séville – on pourra le voir au Ring du 1er au 5 décembre. Le second, 36e // y otros paralelos, est donné cette semaine.
Ce n'est bien sûr pas tout, puisque la manifestation ne se veut pas seulement une succession de spectacles, mais un espace de création et de confrontation. On y trouvera donc aussi bien conférences-débats, concerts, lectures, expositions plastiques et multimédia – Virginie Weber et Maria Clark – , impromptus, théâtre ou cinéma, mais aussi la réalisation par des enfants d'un film d'animation (Paroles d'enfants, tourné par Cumulo Nimbus fin août et projeté le 20 septembre) et d'un "portrait vidéo", Terres d'images, réalisé le week-end dernier à la cité Madrid pour recueillir les mémoires immigrées dans le quartier des Sept-Deniers (le 19 septembre). 
Et une intéressante réflexion autour du nom et du rapport identité / intégration, qui trouvera son expression dans le débat "Intégration-désintégration" et le solo La marche d'Abdeslam de Michel Raji.

 (…)

 

AUTRES EXTRAITS

DE COUPURES DE PRESSE

SOLOSOLILOQUE

Diverses diffusions télévisées (TVE la 2 (au 20 h), Canal Sur, chaîne Locale de Tomares…) de plusieurs entretiens d'Alexandre Fernandez accompagnés d'extraits de "Solosoliloque".

C.M La lune de Metrópoli

"Le chorégraphe et danseur Alexandre Fernandez donne forme aux sentiments d'humiliation du plus faible, de l'homme qui quitte un contexte familier pour aller vivre dans une autre société. C'est en s'inspirant de récit intime que son père lui avait enregistré sur son voyage depuis le Maroc jusqu'en France que l'artiste a construit la matière première de la pièce Solosoliloque. De même que la lecture de La Misère du Monde de pierre Bourdieu et les terrifiantes images venues de Bagdad et de la prison d'Abou Graib marquent très fortement le travail d'Alexandre Fernandez. "

Eduardo López. Guía del ocio.

"Alexandre Fernandez présente pour la première fois à Madrid "Solosoliloque", travail abordant l'immigration. L'éclectique acteur, danseur, metteur en scène, et auteur français Alexandre Fernandez débuta sa carrière artistique en Afrique en collaborant avec le ballet Djokoto. En 1987 de retour à paris , il monta sa propre compagnie L'Ajour-Théâtre tout en continuant à travailler avec d'autres compagnies, entre autre dernièrement avec les chorégraphes Meg Stuart et Marie Chouinard. Solosoliloque, créé l'année dernière entre Séville et Paris, met en scène de façon tranchante les grands problèmes que doivent affronter les émigrants. "Je me suis appuyé sur la vie de mes parents - commente Alexandre Fernandez- qui ont abandonné Tanger pour venir s'installer dans le Nord de la France. Enfant, je me suis rendu compte que l'effort d'intégration qu'on leur demandait désintégrait totalement ce qu'ils étaient au plus profond d'eux mêmes. Eux, ont réussi à se surpasser et aller de l'avant, mais à quel prix ? On doit sérieusement y réfléchir et sur les raisons pour lesquelles beaucoup d'entre eux  n'y arrivent pas." 

Cultura y ocio Séville 

"A.F metteur en scène/chorégraphe français a construit son spectacle Solosoliloque autour de l'immigration et de la mémoire. Fils d'immigrés espagnols nés au Maroc, lui-même né et élevé en France, AF s'est installé à Séville depuis 10 mois avec l'intention de faire un travail de recherche sur le thème de l'immigration et ses conséquences. Pour cela, il a fait appel à ses souvenirs personnels et ceux de sa famille. "Il pouvait s'agir de résoudre quelque chose de personnel, mais aussi et surtout d'aborder modestement un problème collectif" précise l'artiste. Il fait revivre une mémoire, celle du voyage de ses parents du Nord de l'Afrique jusqu'en France, celle des cours d'école où ses compagnons français le sifflaient en le signalant comme "l'espagnol" se confrontant par là même à un obstacle universel : celui des émigrants qui dans leur processus d'intégration laissent en marge leurs propres traits d'identité. Tout cela est repris sous forme d'écriture scénique dans la pièce Solosoliloque qu'il présentera ce soir à Tomares. "Depuis l'univers de la danse, je cherche des choses avec lesquelles les gens de théâtre ne se risquent pas."

ABC Séville  

"Solosoliloque d'Alexandre Fernandez, pièce qui met en jeu les expériences d'intégration et de désintégration de l'artiste, fils d'espagnols nés au Maroc et résidant en France. Un montage d'un haut niveau conceptuel, même si la scène de l'Hacienda St Ana de Tomares, inadaptée pour la danse, n'a pas permis la mise en valeur de l'œuvre qui tient beaucoup de la performance, peut-être peut-on reconnaître dans ce trait l'originalité de l'univers de A.Fernandez qui vient du Théâtre. En effet, la proposition d'A.F nécessitait plus que toute autre vu jusqu'à présent dans le festival Italica, cette proximité tant désirée par le public."

Diario de Cadiz  

"Après l'arrêt prolongé des festivités de fin d'année, le théâtre revient à Cadiz avec la 1ére Édition du Cycle Nouvelles Tendances dans la salle Central Lechera. Un public peu nombreux assistait à ce premier rendez-vous. Évidemment ce peu d'intérêt pour les nouvelles formes alternatives scéniques n'est pas l'apanage de Cadix. Alexandre Fernandez est rattaché à l'espace avant-gardiste sévillan Endanza, qui, après plusieurs années d'activités guerrières, vient d'annoncer sa fermeture d'ici quelques mois. Assurément, les temps ne sont pas favorables au lyrisme moderne (…) La proposition d'A.Fernandez ne manque pas d'intérêt, car personne ne peut remettre en cause la rigueur qui transparaît dans la mise en scène, à mi-chemin entre le théâtre et la danse. Basée sur la gestualité - il n'y a qu'un seul moment de prise de paroles - le comédien-danseur réalise une véritable performance physique et parvient ainsi à susciter une étrange tension tout au long du spectacle, captant totalement l'attention du public."

El Giraldillo 

"Parmi les artistes qui se sont donnés rendez vous à l’occasion de ce Mes de Danza 11 (…), Alexandre Fernandez se démarque tout particulièrement par son implication et son travail autour du thème de l’immigration."

Andalucia 24 horas 

"Ce jeudi 11 novembre, la salle Endanza accueille la première de la création « SOLOSOLILOQUE » de l’artiste français Alexandre Fernandez, qui aborde, avec une interprétation très originale et intime, un sujet aussi important qu’est l’immigration au sein de notre société. Cette pièce a été crée dans le cadre de la résidence artistique de l’auteur dans la salle Endanza de Séville, avec comme fil conducteur la thématique de l’immigration. L’auteur définit cette pièce comme une volonté d’aller au-delà des préjugés qui considèrent l’immigration comme un problème et tente de mettre l’accent avec succès sur le fait que l’immigration est une source de richesse."

El Diario Malaga 

"Le festival « Mes de Danza » n’oublie pas non plus son engagement avec la société dans laquelle nous vivons et tente d’encourager différentes valeurs et visions artistiques. Parmi ceux-ci, l’on peut remarquer Alexandre Fernandez (France), artiste engagé, travaillant et s’impliquant avec le thème de l’immigration et Rui Horta (Portugal)…  (…)"

Metro directo

"(…) en plus de ces espaces ouverts, la danse sera également présente dans les salles et théâtres de la ville durant le Mes de Danza ; « SOLOSOLILOQUE », est l’une des pièces qui, dans ce cycle, sera présentée pour la première fois les 11 et 12 Novembre dans la salle Endanza. Avec ce solo original, Alexandre Fernandez offre une lecture très personnelle sur l’immigration. L’interprète remémore, à travers les mouvements de son corps, l’exil de ses parents, ainsi que la lutte des immigrants sans papiers qui tentent de traverser coûte que coûte le Détroit de Gibraltar."  (…)

 

SOUS LE CŒUR SUSPENDU

 

Au creux des douleurs et des bas-fonds humains, dans une atmosphère étrangement angoissante, Alexandre Fernandez, auteur et metteur en scène, recueille l'essentiel de la vie, de la mort, en un texte circulaire, complexe, cru et terriblement réaliste, qui déboule et se déverse sur une scène envahie par les ombres. Sans histoire, sinon des monceaux d'histoires particulières et générales à la fois, de notre histoire aussi, celle des guerres, des massacres et des trains, deux figures, le garçon et la fille (impressionnante Catherine Pamart) se débattent dans le vide d'une vie irréelle, sous le regard goguenard et cruel de la Parole travestie (Jean-François Friant). Pantins de leurs angoisses, prisonniers de leur ignorance, de leur innocence, leurs corps aux visages torturés se projettent, s'entremêlent, dans un ballet violent, majestueux, éclairé avec brutalité.

Claire MARTIN de l'hebdomadaire Politis

 La guerre du coeur suspendu

par Yan CIRET

On aurait pu penser qu'Alexandre Fernandez serait le metteur en scène - comme ce fut le cas de Patrice Chéreau, ou d'autres aujourd'hui - d'un seul auteur : Bernard-Marie Koltès. Erreur de perspective, déjà son montage Passages Koltès (et notamment Entre chien et loup; la ville s'était vidée d'après le roman La fuite à cheval très loin dans la ville de B.M Koltès) laissait entrevoir un démarquage très net dans le jeu des corps. Une forme de surréalité, une plongée dans une féerie noire, gothique comme un poème nervalien, rendait caduque toute interprétation naturaliste. Une ligne toute différente, une écriture en somme, traversait en rimes filées ce panoramique dédié à l'écrivain. C'était oublier que d'autre pièces, ou adaptation, avaient précédé.

On se souvient d'un superbe Woyzeck, où déjà la physique s'affranchissait de la pesanteur, la matière y était tordue à la manière d'un métal concassé, sous pression. Le texte en lambeaux subissait une "compression" véritable césarienne dans l'histoire du soldat dément, lui-même inachevé, mutilé par Büchner. Là où il n'y a pas matière, il n'y a pas théâtre. Voilà, ce qui ressort avec force du travail d'Alexandre Fernandez. La matière dans toutes ses métaphores, comme un métal que l'on brûle, surchauffe à la flamme alchimique, philosophale. C'était le cas de ses "interprétations" de Beckett, pouvait-on aller plus loin dans le matérialisme du langage devenu outil à attraper le non-sens, plus avant dans l'absence de lumière pour un monde qui l'attend comme une apocalypse ? Cet univers en rase-motte frayait avec la déshumanisation des rapports entre les êtres, la mécanique du pouvoir prenait déjà le pas sur tout échange possible.

Quelque chose de drôle, sarcastique et sombre, rendait l'attente de Godot dérisoire. Les poubelles de Fin de partie résument, assez bien, le mur matériel qui sépare l'homme de sa propre histoire. Fameuse hypothèse, l'histoire est-elle un processus sans sujet, l'individu en est-il chassé comme d'un paradis perdu. Il y avait dans ces fragments, sans doute quelque chose d'existentiel, pour leur metteur en scène. Une vision du monde social en tant qu'Enfer; mais qui peut lui donner tort ? C'est un peu le contre-pied dribblé de ce nihilisme, qu'Alexandre Fernandez fait venir avec Sous le coeur suspendu. On le pressent d'abord à l'énergie incroyable déployée dans cette pièce performance. Ensuite, le désir n'y est pas seulement un objet de transaction, de commerce, comme dans sa version Koltèsienne, mais une circulation d'affects corporels. Cela change toute la donne, et cette oeuvre écrite par son metteur en scène ressemble à une chorégraphie en ligne brisées, avec voix. Les corps du couple se disjoignent, s'accrochent, se percutent avant de s'effondrer et de se relever, avec des portées dignes d'un cirque anatomique. Face à ce duo éperdu d'amour, l'allégorie de "La Parole Travestie" exhibe sa terreur, car là est bien son règne : la peur. Mais le pouvoir de la peur, celle qu'on inflige aux autres, n'est que l'envers de la peur du pouvoir, le vrai, celui que l'on exerce sur soi-même comme un archer zen ou un champion d'échec.

Il y a donc, sous le coeur suspendu, deux principes qui s'affrontent dans une guerre totale. Celui du mensonge qui a éliminé la toute puissance de la vérité en se substituant à elle, contre ces "amants de la nuit" qui brisent toutes les règles. À commencer par celle du théâtre, on peut voir ainsi la pièce, un théâtre de la parole tournant à vide en bataille contre une langue en mouvement dans des corps eux-mêmes bougés, articulés et désarticulés comme des membres de phrases charnelles. Liaisons dangereuses et déliaisons d'un texte assemblé sur mesure pour tous les gestes de la révolte passionnelle. On n'en est pas encore à la révolution, mais Sous le coeur suspendu contient assez de mise en crise de tout un système pour ne pas y faire songer, sinon rêver. Voilà, peut-être, l'attrait final de cette pièce dansée-jouée, le coeur est suspendu, sans s'être arrêté de battre pour autant, on l'entend comme le Diable des Visiteurs du soir, son rythme par saccades assourdissantes claque à la manière d'une bannière dans la nuit. Ce n'est rien, c'est du théâtre, ça s'appelle Sous le coeur suspendu, son auteur danse et parle dans la pièce, c'est sa voix et c'est son corps.

Yan CIRET : critique et essayiste, 
collabore notamment à Art-Press, Mouvement, Les Cahiers de Médiologie et France CultureChroniques de la scène monde 
(ed. La presse du vent 2000).

 

Montreuil-Magazine

Sous le cœur suspendu d’Alexandre Fernandez

L’auteur et metteur en scène Alexandre Fernandez de la compagnie l’Ajour-Théâtre, présente sa dernière création dont le texte sera prochainement publi. Sous le cœur suspendu nous invite à la reflexion sur les mécanismes de la manipulation par la parole. « L’histoire que va vouloir construire un couple est traversée par l’histoire de l’humanité et l’empêche d’avancer. Nous pouvons tous être utilisés comme des pantins. On sait que le commun des mortels peut prendre le pouvoir en prenant la parole, nous emmener où il veut et manipuler l’Histoire ». Les musiciens et la chorégraphie donne à cette pièce une puissance physique qui accompagne l’intensité dramatique.

 

 

PASSAGES KOLTÈS

LA FUITE CONTINUE par Serge SAADAjournaliste à la revue “Alternatives théâtrales” Conseiller artistique à l’Académie Expérimentale des Théâtres. Enseignant

Une amie me dit qu'elle parvient à enseigner Claudel, Hugo, mais qu'elle a du mal à transmettre aux étudiants des clefs pour aborder l'œuvre de Koltès. Une autre amie me dit qu'elle a peur des interprétations trop rapides de ses élèves, des associations et des références que ces textes suggèrent. Il ne s'agit pas ici de savoir quel auteur français est le plus enrichissant mais seulement de constater que l'univers captivant de Bernard-Marie Koltès offre des pistes et qu'il faut accepter leur absence de destination. Ses pièces ne nous mènent pas par la main et si elles le faisaient une fois dans le noir, elles nous laisseraient là, seul et perdu. Alexandre Fernandez dans "Passages Koltès" a adapté "le roman" de Koltès La fuite à cheval très loin dans la ville et en a fait une voix que l'on peut entendre au théâtre. À sa lecture, on a à la fois le souvenir du roman mais aussi l'idée que quelque chose s'est poursuivie, qu'une rencontre et une compréhension ont eu lieu. L'adaptation d'Alexandre Fernandez  n'est pas de facture classique mais elle est bien faite pour être entendue. Que le public puisse écouter les échos de cette rencontre car chaque page est comme une trace qu'a cherché à suivre l'adaptateur-auteur dans un univers qu'il n'a pas voulu résoudre. Dans ma bibliothèque, il y a deux objets autonomes et liés en même temps : le roman La fuite à cheval très loin dans la ville qu'il faut lire, et cette adaptation Entre Chien et loup; la ville s'était vidée qu’il faut voir et entendre. Deux objets littéraires différents mais qui dialoguent sans cesse entre eux. Trop près du soleil. Tout commence par des sons, des bruits de pas, des chuchotements affolés, des ragots qui semblent avoir honte de se faire entendre et qui inscrivent nos pensées inavouables dans le prolongement des haut-parleurs. c’est une ambiance de couvre-feu ou l’on vous susurre à l’oreille des paroles signalétiques, un début de phrase-tribunal qui sans désigner de coupable répète : que celui…, que celui… On pense, que celui qui a cassé, qui a volé, pour finalement entendre : que celui qui a perdu son chat. Plutôt que de devenir explicite, illustratrice, la partition sonore brouille d’emblée les pistes. Quand la lumière vient, le son a déjà installé un espace physique. Traqués de toutes parts, les comédiens sont rassemblés face à nous, texte en main. L’éclairage tempéré nous rappelle que sur le programme, il y a écrit “mise en lueur”. La matière sonore interviendra encore pour interdire de dépasser une limite et de sa récurrente ritournelle devenir un mécanisme de contrôle, “un personnage”. Beaucoup de lectures excusent le caractère inachevé de leur proposition en une médiocrité assumée. Ce que j’ai vu était bien plus qu’une lecture classique. À chaque instant, elle assumait son caractère achevé et, plutôt qu’une étape, la mise en jeu du texte Entre chien et loup; la ville s’était vidée laissait entrevoir les lueurs d’un spectacle issu d’un dialogue entre le roman de Koltès et le désir amoureux de le concevoir pour le théâtre. Cette forme, Alexandre Fernandez, ne l’a pas voulue sans risque. Pour maintenir la tension dramatique aucune phrase ne devait être au service d’une autre qui serait investie d’un plus grand pouvoir de révélation. Avant que la parole s’épuise, avant que sa charge concrète se fasse nébuleuse, lassé de se taire un personnage reprenait le pouvoir des mots comme, sûr de son jeu, on prend la main à une partie de poker. Dès lors, je pensais à tous les personnages de Koltès qui ne cessent de se relever par cette parole qui leur intime la vie, qui mécanise le corps comme l’essence mécanise les voitures. À force de la laisser venir elle poussait le comédien à se dépasser. Il laissait de côté ponctuellement le texte comme si l’irréversible poétique des mots rendait incontrôlable le désir généreux de jouer. Cependant, jamais les comédiens ne sombraient dans l’écueil de porter leur parole au détriment du texte. Toute l’énergie provenait des mots, la sève, le seul moyen de se lever, d’exister, de se rater, de dire à l’autre “je t’aime” pendant que celui-ci ne pense qu’à trouver de l’argent, pour vous renvoyer à votre obscure solitude. J’étais fasciné par Cassius (Simon Duprez), roux, habillé d’un polo jaune et qui de ses couleurs semblait jurer avec tous les autres personnages. En regardant ses cheveux je pensais : il s’est trop approché du soleil. Dissimulé près d’un poteau, il me rappelait Roberto Zucco qui s’envole et brûle à sa lumière. Cassius lui aussi avait compris que le seul moyen d’échapper à cette ville, à ses frontières carcerallement imprécises était l’ascension vers le ciel. Je regardais aussi, projetée sur le mur, une fantastique Cadillac bleue Coupée de Ville, vue de face, symbole d’un désir halluciné, jouet de luxe auquel rêvent tous les personnages de Koltès. Ceux de Quai Ouest qui cherchent  les clés de la “Jaguar”, ou ceux de Combat de nègre et de chiens qui n’ont plus qu’une autoroute inachevée pour tenter de s’échapper. Quand j’ai vu cette proposition, j’étais au seuil d’un long voyage qui a aboutit à la réalisation d’un ouvrage collectif sur l’œuvre de Koltès. Cette adaptation et sa mise en jeu m’ont donné l’envie de relire Koltès. Je comprenais que ce projet était plus l’histoire d’une rencontre que l’adaptation pragmatique d’un roman et que La fuite à cheval très loin dans la ville avait déclenché un processus créatif chez Alexandre Fernandez, une réponse qui s’intitule Entre chien et loup; la ville s’était vidée. Les plus beaux textes donnent envie de les lire à haute voix, et dans ces phrases qui ont été entendues et comprises, dans ces phrases qui relancent l’imaginaire, l’auteur laisse entrevoir d’autres voies. La pertinence d’Entre chien et loup… réside dans le fait que le roman est comme la genèse de l’œuvre qui va suivre. Barba, Chabanne, Félice, Cassius, Tragard, Rose… sont des personnages que nous allons retrouver dans l’œuvre qui vient. La fuite à cheval… fonde les éléments d’une géographie Koltésienne, une carte dans laquelle chaque pièce va trouver sa place. La mise en jeu d’Alexandre Fernandez était à la fois le maintien d’un contrat avec le théâtre qui l’accueillait sur la base d’une lecture et la volonté de faire un pas légitime, le désir d’investir l’univers de Koltès dans sa totalité… dans sa forme romanesque…

 

 

L’ALLURE d’Entre chien et loup; la ville s’était vidée

Yan CIRET : critique et essayiste, 
collabore notamment à Art-Press, 
Les Cahiers de Médiologie et France Culture.
 Chroniques de la scène monde 
(ed. La presse du vent 2000).

Chaque roman invente sa langue. Une langue-monde, comme il y a des villes-monde. Dire cela a son importance pour La fuite à cheval très loin dans la ville. Parce que c’est cette langue qui conduit l’histoire pour en tracer des trajectoires fulgurantes, en bâtir, avec sa poésie si particulière, ses propres personnages, de toutes pièces. Afin d’en forger l’étoffe humaine, pour mieux en découdre les doublures. Le fil d’une invention par le langage sous-tend à l’évidence toute l’aventure d’Entre chien et loup; la ville s’était vidée d’Alexandre Fernandez, pièce écrite d’après “le roman” de Koltès. Et s’il faut parler d’une éthique doublée d’une esthétique de l’échange, du trafic, à propos de B.M Koltès, la pulsion d’écriture en est la plaque tournante, l’enjeu principal, bien avant toute intrigue. C’est ce rythme, ce que Koltès appelait pour son roman “l’allure” des personnages, qu’Alexandre Fernandez a suivi, à la lettre et librement. C’est important “l’allure”, cela donne une vitesse en même temps qu’une apparence, une aura, à quelqu’un que l’on voit apparaître pour la première fois. Que l’on est affaire avec La fuite à cheval… à une “mêlée” de genres très reconnaissables : roman noir, influences du réalisme magique sud-américain, découpage cinéma, importe peu finalement. Le choix d’Alexandre Fernandez a été de faire de tout cela du théâtre. D’en extraire le filon qui courait dans le texte par la voix et le destin de Chabanne, de Félice, de Barba, de Cassius et de tous les autres. Entre chien et loup; la ville s’était vidée oscille ainsi avec bonheur entre ces différents brassages, ajoutant ses propres variations, de la comédie jusqu’à la tragédie. L’oeuvre en est maintenant autre, brillant de manière singulière, quelque chose comme le rappel d’une musique, sans doute proche de ce “chant secret” dont parlait, à la fin de La nuit juste avant les forêts, Bernard-Marie Koltès. Osons une évidence, paradoxale, puisqu’il s’agit d’un écrivain, Bernard-Marie Koltès n’a jamais écrit de théâtre, pas la moindre ligne. Il l’a dit, souvent même, mais personne n’a voulu l’entendre. C’était cela le secret, le plan enfoui dans l’architecture des pièces, l’image rendue invisible sous la trame romanesque, le chiffre perdu de l’œuvre. Quai ouest ? Du Faulkner pur-sud sur l’Hudson River, un roman noir mâtiné de vieilles légendes quechua sur la dérive des continents. La solitude… ? Un dialogue philosophique, à la manière de Diderot, langue du XVIII ème siècle, grand français, rhétorique apprise chez les Jésuites (toute son éducation s’est faite là, il faudra bien un jour en parler). Mais du théâtre, il n’y en a pas, comme de l’amour, comme le reste. Pourquoi a-t’il fait cela ? Parce qu’il lui fallait un alibi, le théâtre sert à cela, une couverture, une planque, il en faut toujours une, pour faire passer le message. Lequel ? Mais qu’il n’arrive jamais rien ! Et comment cela, répétez ? Non, à vous de lire, de lire vraiment, c’est à dire tout, passionnément, Prologue, les nouvelles, les pièces, à vous de jouer, c’est à dire à vous de déjouer le théâtre, ce piège avant tout. Où cela est-il dit ? Dans son seul roman achevé La fuite à cheval très loin dans la ville. Pourquoi ? Parce que justement cela n’est pas du théâtre et que la mise en scène est dans la langue. Quel intérêt alors de montrer ce qui s’écrit pour un seul lecteur ? Pouvoir dire pour tous ce que l’on destine à chacun. On appelle ça être écrivain. C’est ce qu’a fait Koltès ? Oui, toute sa vie, extraire le langage de sa nuit, adapter des textes, faire circuler la parole. Dans les premières années, l’apprentissage : Enfance de Gorki, Le Cantique des CantiquesLes âmes mortes… etc. Puis d’autres auteurs encore, Dostoïevsky, Salinger… etc. Mais il n’a pas fait qu’adapter ? Si, c’est cela écrire. Par exemple Combat de nègre et de chiens ce serait ? Ce sont les américains qui ont vu juste, dans le New-York Times : “Du Conrad réchauffé à la sauce sociale “. Jusqu’à la fin, il a tiré ses pièces d’autres textes ? C’est simple, son dernier projet, il n’en reste que quelques feuillets, une adaptation du “Livre de Job” pour Maria Casarès. Voilà, la boucle est bouclée. Quel est le rêve de tout adaptateur ? Terminer l’œuvre de celui qu’il adapte, en retrouver l’origine pour en être la fin. C’est cela la réussite d’Entre chien et loup; la ville s’était vidée, d’avoir su de manière admirable restituer la comédie humaine de tous les livres de Koltès. Prenez Barba, Félice, puis Cassius, Chabanne, des personnages d’un roman ? Non, les racines de toute l’œuvre. La fuite à cheval… est la matrice de tout ce qui va venir par la suite, chaque pièce allant puiser dans ce formidable marériau. Ne cherchez pas plus loin, le travail d’Alexandre Fernandez ressemble à s’y méprendre à la dernière pièce de l’auteur de Roberto Zucco.

 

 

TÊTE D’AFFICHE CANALPANTIN

 

LA COMPAGNIE L’AJOUR-THÉÂTRE 31

« NOTRE TRAVAIL AGACE » Leur scène idéale serait une usine désaffectée. Si possible du côté des quatre-chemins. L’équipe de l’Ajour-Théâtre ont envie de se fixer ici depuis qu’ils ont découvert le quartier il y a un an. Par hasard, à la recherche d’un lieu pour monter un atelier, ils ont débarqué salle Charlie-Noé, rue Denis Papin. Aujourd’hui, ils aimeraient disposer d’un lieu à eux qui serait aussi un espace ouvert , un epu dans l’esprit des « Laboratoires » d’Aubervilliers. Des jeunes de la ville pourrait notamment en profiter. Contact a été pris avec le service culturel, qui étudie leurs propositions avec « intérêt ». Pour cette compagnie qui fuit les salles de spectacles traditionnelles pour investir des hangars ou des usines désaffectées, Pantin est comme une terre promise. Riche de ses friches industrielles, mais surtout de ses habitants avec lesquels, ils voudraient « créer des passerelles». L’étincelle a jailli en Octobre dernier, à l’occasion d’une soirée contre le racisme salle Jacques-Brel. Ces comédiens professionnels ot lu des textes de femmes algériennes devant leurs auteurs. « Un moment assez et émouvant », se souvient Alexandre Fernandez, le créateur de l’Ajour-Théâtre. « Ajour » comme « Artistes Jeunes Organisés et Unis en Réseau ».

Le metteur en scène a roulé sa bosse des amandiers de Nanterre à Toulouse en passant par l’Afrique. Il a notamment travaillé comme dramaturge et scénographe avec Geneviève Schwöebel au TGP de StDenis. Il veut désormais « déplacer la question du théâtre et le rapport au public ». « Notre travail agace et on ne nous donne pas les moyens » confie Alexandre Fernandez. Alors las de « perdre son temps à attendre les décideurs », il repart en terrain vierge avec une poignée de purs et durs, parmi lesquels la comédienne Karinne Gayet. Actuellement, l’Ajour travaille sur Bernad-Marie Koltès. Un auteur qui colle parfaitement avec ces « No man’s land », dans lesquels la compagnie veut faire naître un autre théâtre. La pièce « Entre chien et loup, la ville s’était vidée », adapté du roman « La fuite à cheval très loin dans la ville » par Alexandre Fernandez sera d’ailleurs mise en chantier le mois prochain dans… une usine. La troupe va occuper durant une année les moindres recoins de l’ancienne fabrique Yoplait à Ivry/scène. En attendant de trouver son bonheur aux quatre-Chemin ?

 

 

DIVERS

Naufrages d’après Marivaux (...) est interprété avec une grâce aiguë, un ton spirituel de bon aloi et un sens vif du théâtre d’intelligence (...)
Jean-Pierre LEONARDINI
L’Humanité(...)

Naufrages désosse les intrigues pour mieux les ressasser et mérite qu’on sombre avec lui (...)
René SOLIS
Libération

 (...) Alexandre Fernandez met en scène en restituant avec finesse le sens énigmatique du théâtre Beckettien tout en se gardant une certaine part d’interprétation poétique (...)
La Nouvelle Marche(Quotidien Togolais)

 

« Il est à mon avis certain que tout art est investi par les puissances refoulées d'une enfance… La création artistique est l'exemple le plus accompli de ce qu'est une sublimation des désirs inconscients. C'est la raison pour laquelle le grand art peut être à la fois provoquant, transgressif, et universel. La subjectivité humaine reconnait en lui la force irrésistible des traces cachées des désirs… Il éprouve dans cette reconnaissance un trouble suspect en même temps qu'une admiration rationnelle. C'est ce mélange que nous appelons le sentiment du Beau. » Alain Badiou, Éloge du théâtre, 2013.

"Le divertissement généralisé"

Nous vivons sous le règne de la banalisation par l’effet de la consommation, sous le régime de l’aliénation des individus par l’effet du divertissement généralisé d’une forme d’étourdissement par lequel les individus sont siphonnés. lire la suite