Solosoliloque

Récit de l’exil d’une famille espagnole

par Manuel Fernandez

 

On s'est fiancé et, un an et demi après s'être marié, on a décidé de quitter le Maroc pour venir en France travailler...


D'après les informations de la famille qui était déjà installée en France à Hautmont dans le nord, j'avais obtenu un contrat de travail, c'était pour travailler dans un usine, c'était la providence, pour contrôler les entrées et sorties des marchandises. Je pensais que ça me convenait parce que là où je travaillais au Maroc, c'était une usine chimique et je m occupais de gérer les stocks et la comptabilité du magasin.

 

Après les papiers administratifs réglés, nous voilà partis pour la France, tous contents parce que c'était la première fois qu'on faisait un grand voyage tout seul avec notre fille Yolande, qui à l'époque avait six mois, en croyant que c'était un voyage « de plaisance ». Par contre, on ne savait pas tous les problèmes, tous les inconvénients qu'on allait trouver.

 

On avait facturé notre bagage, une grosse malle, des valises, avec le matelas en laine de mariage, qu'on devait récupérer à Irun.Un fois arrivé là-bas, il fallait reprendre les bagages et passer à Hendaye pour refacturer les bagages de nouveau jusqu'à Haumont. Les moyens de transport qu'on avait pris pour faire ce transfert, c'était une ancienne Vespa avec une espèce de remorque, un plateau disons. A l'arrière, en plus des bagages, il y avait Yolande et moi, et Maman s'était assise à côté du conducteur sur une espèce de banquette avec les jambes en l'air puisqu'il y avait pas de place pour poser les pieds. Alors, tout content, on monte dans le train, enfin on pouvait se reposer un peu, jusqu'à Paris.

 

Arrivés à Paris, moi avec mon accent, le petit peu de français que je parlais, je demande au conducteur de taxi de nous emmener à la gare d'où partent les trains en direction de Haumont. Le chauffeur croyait que c'était Le Mans dans la Sarthe, alors il nous envoie à la gare Saint-Lazare. On monte dans le train et moi, curieux, je regarde quelle direction on prenait sur la carte par rapport au train qu'on nous avait indiqué. J'appelle le contrôleur et la réponse c'est que ça correspondait au kilomètre, ça correspondait au billet et que peut-être il y avait une erreur de frappe. Moi j'étais pas content du tout, il revient me voir et il me dit : « écoutez je crois que effectivement il y a une erreur, vous allez dans le Nord et pas dans cette direction. A l'arrivée de La Louve, c'est un village, vous descendez et vous reprennez le train en direction de Paris. Une fois à Paris vous demandez que l'on vous emmene à la Gare du Nord. On fait comme ça, on passe de mauvais moments là-bas à attendre à La Louve. Il commençait déjà à faire un peu froid et nous on était habillés au style du Maroc, en chemise.

 

De retour à Paris, à la Gare St-Lazare, tu imagines moi avec Yolande dans son couffin d'une main, les valises dans l'autre, Maman aussi chargée... On descend... je te dis pas, à ce moment il y avait pas mal de militaire qui allait prendre la train et ils nous basculaient de tous les côtés... On monte dans le train à la Gare du Nord. On arrivait à Haumont, c'était le soir, la nuit déjà, il faisait froid. On a ouvert la porte du train, on a voulu rentrer tellement il faisait froid. C'était au mois d'octobre il y a quarante ans déja... Ça nous fait rire tout ça aujourd'hui... mais enfin... tous contents, la famille se retrouve... Le problème, c'est qu'on ne savait pas où on allait coucher. On voyait que la famille était un peu gênée parce qu'en principe, Tito Feliz, devait nous faire aménager une chambre où il avait du matériel de travail, tout ça... et rien de tout ça n'avait été fait et nous voilà avec une fille, on ne savait pas comment on allait faire. La proposition c'était d'aller chez Tita qui avait un petit appartement aussi et malheureusement, dormir par terre. C'est tout ce qu'on pouvait faire.

 

Heureusement qu'on avait emmené notre matelas, ça nous a servi quand même... bon... et bien il fallait se lever de bonne heure le matin, bon, mais... ça s'est plus au moins bien passé... et puis le jour J est arrivé, c'est à dire la présentation au travail. Moi en croyant que j'allais au magasin j'avais un pantalon clair et je me mets une chemise blanche que Maman pour l'occasion m'avait bien repassée. Je me pointe à l'usine, mon pauvre, quand j'ai vu le hangar, les gens tous en bleus c'est normal et moi tout en clair comme ça, je me suis dit : où est-ce que j ai mis les pieds!. Je voyais ( les ponts), des petits écrous sur des rails qui roulaient sur ma tête et de tous les côtés... je croyais que le ciel il tombait ! Me accompagna y me présenta au contre-maître, le contre-maître me regarde, « Où est-ce qu'il va celui là ?! », j'imagine biensûr... tout le monde en bleu ça faisait travail, travail dans une usine avec du plomb, le fer qui tournait de droite à gauche... Tout ça, c'est un mauvais moment que je passais... Mais enfin, il me donne un bon pour aller dans le petit magasin avec d'autre collègues espagnoles. Le contre maître, avant ça, m'avait demandé : « Mais, vous n'avez pas d'autres affaires à vous mettre ?... ». Et là, j'ai compris tout de suite et je me suis dit : « Là, je crois que je me suis trompé ». Alors j'ai dit, que si, j'avais des affaires, mais elles étaient encore dans les bagages et je n'avais pas eu le temps de les sortir. J'arrive dans le magasin avec les copains et il commence à me donner des affaires. Je voyais déjà ce qu'il donnait aux autres et c'était pas ça... À moi, il me donne un sac de pomme de terre et, à côté, un bout de ficelle. Là, je me demandais... après il me sort une grande lime, je me disais : « Qu'est-ce que je vais faire avec cette lime ?, un casque et des gants, des espèces de manoplas » (gants de toilette) et quand, tu les mettais dans les mains, tu pouvais pas plier les mains. Je me suis mis tout ça et j'ai tout enroulé dans le sac et j'ai demandé :
- Le sac c'est pour quoi faire ?
- Le sac vous le mettez comme tablier.
- Ah d'accord... et la corde ?
- La corde, c'est pour attacher le sac
- Ah bon... et la lime ?
- Le chef d'équipe vous dira quoi en faire.

Il m'emmène à l'atelier, enfin à l'usine, là, il me désigne à un collègue parce qu'on travaillait en groupe de deux. Il y avait un banc de travail avec des barres de fer que le pont poussait sous le banc et il fallait avec une grosse meule, tu sais une meule... pas électrique mais avec l'air comprimé qui faisait tourner la meule, qui pesait... pour moi, c'était quelque chose qui pesait trop et que je ne pouvais même pas soulever tellement j'étais énervé. Je ne savais même pas ce que je faisais. J'avais presque une crise moi, j'étais crispé, j'étais crispé... Même en passant à côté des quais, où les wagons se mettaient pour charger, j'ai tout fait tomber, le casque, la lime, le sac, tout... J'arrivais même pas à descendre pour les ramasser... Bon, aller, je trouve mon collègue français, c'était un pépère déjà, il avait presque la soixantaine, presque à la retraite, avec son mégot à la bouche tout le temps, tout mouillé, sur le côté. Le chef d'équipe me dit : « Tiens, tu te mets avec lui... Lui, il va t'aider, il va te dire comment faire ». Alors il fallait se tourner, se tourner et on prenait la barre pour voir s'il y avait des défauts et avec la meule il fallait la nettoyer, voir s'il y avait des défauts. Alors je voyais le pépé qui commençait, il passait une demie heure avec la meule... quand c'était mon tour mon pauvre, je ne pouvais même pas tenir trois minutes tellement... je ne sais pas comment je m'y prennais... ça sautait partout... j'avais mal... je ne peux pas... Même aujourd'hui je ne comprends pas... Je me disais en moi, moi, j'étais jeune, j'avais une vingtaine d'années, 26, 27 ans et ce pépère de 60 ans qui passe une demie heure et moi je ne peux même pas tenir dix minutes, même pas ! Alors, à force, à force, j'ai compris la position, comment il fallait mettre la meule pour passer... J'arrive le premier jour de travail, j'arrive à la maison... Maman, toute contente pour savoir comment ça s'était passé, quand elle m a vu, elle s'est mis les mains devant les yeux... J'avais toute la figure noire, les bras, la chemise, tout ça... Parce que c'est normal, tout le monde se changeait, ils se mettaient en bleu de travail... Il y avait des casiers pour mettre ses affaires de ville, ils avaient même le savon pour se laver. Mais moi, j'avais rien de tout ça, j'avais rien prévu, je croyais que je me trouvais encore au Maroc. | lire la suite

« Il est à mon avis certain que tout art est investi par les puissances refoulées d'une enfance… La création artistique est l'exemple le plus accompli de ce qu'est une sublimation des désirs inconscients. C'est la raison pour laquelle le grand art peut être à la fois provoquant, transgressif, et universel. La subjectivité humaine reconnait en lui la force irrésistible des traces cachées des désirs… Il éprouve dans cette reconnaissance un trouble suspect en même temps qu'une admiration rationnelle. C'est ce mélange que nous appelons le sentiment du Beau. » Alain Badiou, Éloge du théâtre, 2013.

"Le divertissement généralisé"

Nous vivons sous le règne de la banalisation par l’effet de la consommation, sous le régime de l’aliénation des individus par l’effet du divertissement généralisé d’une forme d’étourdissement par lequel les individus sont siphonnés. lire la suite